Le meilleur de la couverture des feux de forêt et un regard sur le traitement médiatique de l’énergie nucléaire
Découvrez qui sont les médias qui sont allés au-delà de la nouvelle dans leur couverture de la pire saison des feux forestiers de l'histoire du Canada.
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Le 24 juillet 2023
L’actualité des dernières semaines a été inondée par le suivi de la pire saison des feux de forêt que le Canada ait connue depuis que des données sont enregistrées. Nous avons sélectionné pour vous les meilleurs reportages. Nous vous proposons aussi un article exclusif sur la manière dont les médias traitent de l’énergie nucléaire.
Parmi les articles qui méritent que vous vous y attardiez: Théories du complot et désinformation pullulent autour des feux, et les articles It isn't arson: untangling climate misinformation around Canada’s raging wildfires par The Narwhal et “Des feux de forêt qui alimentent les fausses nouvelles sur le Web par Le Devoir démystifient quelques-unes de ces théories.
En survolant notre revue de presse, nous nous posions des questions. Comment les média font-ils le lien entre les feux de forêt et les changements climatiques? Qu’arrive-t-il à la faune? Et quelles sont les solutions pour les combattre? Les articles Experts explain link between wildfires and climate change par CTV News, Le caribou épargné, la régénération des forêts menacée par La Presse, Des solutions pour diminuer les risques liés aux feux de forêt par Le Devoir et Cree Nation evaluating wider impacts of wildfires par CBC ont satisfait notre curiosité! On aimerait aussi souligner les troublantes mais importantes photos des feux par le photojournaliste québécois Renaud Philippe, publiées par The New York Times.
Continuez pour lire l’entrevue avec Janice Harvey, Susan O’Donnell et Harrison Dressler sur la couverture médiatique de l’énergie nucléaire.
Brianna
La promotion de l’énergie nucléaire freine-t-elle l’action climatique ?
« Si tout ce que vous entendez à propos de l’énergie nucléaire est qu’elle est bon marché et merveilleuse, qu’elle peut être déployée rapidement, et qu’il n’y a pas raison de s’inquiéter des déchets nucléaires — bref, le pitch de vente de l’industrie — alors bien sûr que vous la voudrez ». — Susan O’Donnell, Professeure adjointe de recherche, Université de St Thomas.
Par Brianna Losinger-Ross and Mélanie Lussier
Le Nouveau-Brunswick lorgne du côté du développement de l’énergie nucléaire, avec ses promesses de révolutionner le paysage énergétique de la province et de remodeler l’économie. Pendant ce temps, les petits réacteurs modulaires (PRM, ou minicentrales nucléaires, si vous préférez) ont été principalement présentés par les médias comme une solution miracle qui pourrait remplacer le charbon dans notre course vers la neutralité carbone, affirment les chercheurs. De plus, très peu de place est accordée aux voix autochtones dans ce débat.
Susan O’Donnell et Janice Harvey, chercheuses à l’Université St Thomas à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, ont entamé les travaux préliminaires pour un projet de recherche qui examine les discours autour des différentes formes d’énergie dans les médias, en mettant l’accent sur le nucléaire et d’autres alternatives.
Elles ont présenté leur travail lors de la Conférence de l’Association canadienne de communication (ACC) qui s’est tenue en juin à l’Université York, à Toronto, où nous les avons rencontrées. Nous avons également interviewé Harrison Dressler, étudiant à l’Université Queen’s, dont la recherche explore la couverture médiatique des petits réacteurs modulaires (PRM) au Nouveau-Brunswick.
Susan O’Donnell and Janice Harvey lors de la conférence CCA 2023 à l’Université York à Toronto. Photo par Brianna Losinger Ross
Selon l’Évaluation du marché de l’énergie nucléaire 2018, l’énergie nucléaire représente 15 % de la production d’électricité au Canada.
L’énergie nucléaire est-elle vraiment plus verte et meilleure pour l’environnement ? Les entreprises du secteur de l’énergie nucléaire et autres acteurs de l’industrie véhiculent-ils plutôt les mêmes discours que ceux utilisés autrefois par les entreprises du secteur des combustibles fossiles ?
« La filière nucléaire est de nature capitaliste », affirme Janice Harvey. « Il y a une sorte de contrôle des entreprises à grande échelle, avec des investissements intensifs et des technologies à fort impact qui permettent aux profits de continuer à circuler ».
O’Donnell et Harvey affirment que non seulement les communautés minières, souvent des communautés autochtones, sont exposées à de nombreux risques environnementaux directs, mais l’énergie nucléaire produit aussi des déchets nucléaires qui devront être « gérés pour l’éternité ».
Les chercheuses accordent une grande importance à l’examen critique de la façon dont les technologies nucléaires sont discutées, car elles pensent que le fait de ne pas comprendre cette source d’énergie dans son intégralité peut avoir des conséquences majeures, telles que l’inaction climatique.
« Les technologies nucléaires sont encore spéculatives », déclare O’Donnell. Elle voit dans cette stratégie de promotion une autre tactique de retardement pour maintenir le statu quo et retarder l’action réelle en faveur du climat.
Des voix autochtones ignorées
Bien que leurs recherches n’en soient qu’à leurs débuts, d’autres chercheurs ont également examiné la couverture médiatique de l’énergie nucléaire.
La recherche d’Harrison Dressler porte sur les discours dominants entourant les PMR et se concentre sur l’analyse de la presse écrite de langue anglaise dans la province. Il a parcouru 205 articles différents tirés des trois quotidiens anglophones du Nouveau-Brunswick : le Telegraph-Journal (Saint John), le Times & Transcript (Moncton) et le Daily Gleaner (Fredericton).
Harrison Dressler qui present ces recherches lors de la conférence CCA 2023 à l’Université York à Toronto. Photo par Mélanie Lussier.
Il a pu constater un net penchant pour les perspectives pronucléaires, mais il a surtout été surpris par l’absence de perspectives autochtones dans le débat sur les petits réacteurs modulaires. Parmi les 379 sources incluses dans les articles qu’il a analysés, seules cinq (1,3 %) provenaient de communautés autochtones. « Ça m’a un peu choqué », avoue Dressler.
« Je m’attendais à ce que le point de vue des autochtones soit pris en compte d’une manière ou d’une autre, du moins pour mettre en avant les avantages commerciaux des petits réacteurs modulaires, explique-t-il. Parce que l’argument selon lequel la technologie des PRM [est supposée] avantager tout le monde tend définitivement à être utilisé ».
Et Dressler ne peut que souligner l’importance de tenir compte du point de vue des autochtones dans les délibérations publiques et dans les processus décisionnels relatifs aux petits réacteurs modulaires.
« Les Peskotomuhkati et les Wolastoqey ont toujours plaidé en faveur d’une approche intergénérationnelle, c’est-à-dire non seulement pour les cinq prochaines années, mais aussi pour les cent ou deux cents prochaines années », dit-il. « Leurs conceptions de la terre et de la manière dont les êtres humains devraient interagir avec l’environnement naturel diffèrent des perspectives libérales procapitalistes habituelles qui considèrent la terre comme un élément à dompter ou à exploiter », ajoute-t-il.
Par ailleurs, le chercheur a été surpris de constater que le public était très divisé, presque 50-50, dans le débat sur le PRM.
« Je m’attendais à ce que le sentiment pro ou anti PRM soit plus fort, mais je pense que cela montre que le discours général et les interprétations publiques qui se rattachent au sujet diffèrent considérablement de ce qui est mis en avant par les acteurs de l’industrie et du gouvernement », explique-t-il.
Mais comment Dressler explique-t-il que la couverture médiatique des PRM par la presse écrite anglophone du Nouveau-Brunswick tende à favoriser les points de vue pronucléaires des acteurs de l’industrie et du gouvernement ?
Pour lui, l’hypothèse la plus plausible est celle de la propriété et de la centralisation des médias.
« En 2021, 80 % des nouvelles quotidiennes [au Nouveau-Brunswick] étaient détenues par une seule entreprise », indique Dressler en se référant à l’Aperçu sur la circulation des journaux canadiens en 2021 (en anglais seulement). « Ils ne fournissent plus de statistiques à ce sujet, mais j’imagine que la situation est la même aujourd’hui, même pire. »
Il souligne également que l’accès aux ressources financières de l’industrie et l’accès du gouvernement aux médias pourraient également jouer un rôle dans tout cela.
Grâce à ses recherches, Dressler espère sensibiliser les gens à la signification de l’action climatique et à ce qui incite la société à agir de manière significative en faveur du climat.
« Je pense qu’il y a beaucoup non seulement de désinformation et de mensonges, mais aussi une mauvaise compréhension de l’approche globale nécessaire à l’action environnementale et des causes holistiques des [changements climatiques] », explique-t-il.
Selon Dressler, les changements climatiques ne se résument pas à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
« Toute solution climatique qui ne tient pas compte d’une conversation sur la décolonisation, des perspectives et des modes de vie autochtones, ainsi que de la production et la consommation de matériaux, ne sera pas efficace à long terme », conclut-il.
L’infolettre climat et médias au Canada est publiée par l’équipe de recherche de la professeure de journalisme à l’Université Concordia Amélie Daoust-Boisvert. Elle bénéficie du soutien du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH). Vous avez des questions ou des commentaires ? Écrivez-nous à Cmrconcordia@gmail.com
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Cette semaine, l’infolettre a été rédigée par Amélie Daoust-Boisvert, Brianna Losinger-Ross et Mélanie Lussier. Rédaction en chef et éditrice : Amélie Daoust-Boisvert