Escalader un pont, encore une stratégie efficace pour attirer l’attention des médias sur le climat ?
Jia Marguerite Schofer, une étudiante en journalisme à Concordia, revient sur l’action qui a bloqué le pont Jacques-Cartier à Montréal en octobre dernier.
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Bonjour chère communauté!
Vous êtes de plus en plus nombreuses et nombreux à nous suivre et à nous lire: Je salue au passage la très belle et engagée “gang” du Symposium annuel Ouranos qui s’est abonnée à Papier Carbone la semaine dernière, alors que j’y partageais des résultats préliminaires de nos recherches sur la couverture des feux de forêt.
Je suis vraiment enthousiaste à la vue de notre planification des prochaines mois, qui comprend plusieurs reportages originaux réalisés par des étudiantes en journalisme à Concordia. Aujourd’hui, Jia revient sur les actions pour le climat qui perturbent notre quotidien. Sont-elles efficaces pour attirer une couverture médiatique? Atteignent-elles leurs cibles?
Nous avons, comme à notre habitude, relevé les meilleurs reportages et lettres d’opinion sur l’environnement des dernières semaines: Vous trouverez les liens après le reportage de Jia - Mais nous avons gardé une courte liste, pour éviter de contribuer un peu trop à votre fatigue médiatique :-)
Amélie
Escalader un pont, encore une stratégie efficace pour attirer l’attention des médias sur le climat ?
Pour les activistes, « quand les gestes subtils passent inaperçus, il faut parfois frapper plus fort. »
Par Jia Marguerite Schofer
Traduction par Claudia Beaudoin
Last Generation Canada ne regrette pas leur action perturbatrice du 22 octobre dernier ayant bloqué la circulation sur le pont Jacques-Cartier à Montréal pendant plusieurs heures. Et ce même si les médias se sont principalement concentrés sur les perturbations, l’arrestation des grimpeurs et l’indignation du ministre québécois de la Sécurité publique. Le Collectif Antigone était également impliqué dans cette action militante.
« Je pense que les médias vont toujours se concentrer sur ce qui est le plus sensationnel », dit dans une entrevue avec Papier Carbone, en anglais, Laura Sullivan, porte-parole de Last Generation,. « Mais il s’agit de créer de la conversation et de forcer le public à prendre position. »

Ce jour-là, Olivier Huard et Jacob Pirro ont escaladé le pont Jacques-Cartier pour demander la création d’une Agence nationale de gestion des urgences, l’élimination des combustibles fossiles d’ici 2030 ainsi que d’autres revendications. Ils ont été arrêtés, accusés de méfait pour avoir bloqué le pont et de résistance volontaire ou entrave à un agent de la paix, puis relâchés. Michèle Lavoie, une autre activiste, a également été accusée de méfait et a été relâchée.
Pour les activistes, la désobéissance civile et les interruptions délibérées de la vie quotidienne cherchent à briser le cycle des titres éphémères et à forcer le public à prendre conscience des causes qu’ils défendent.
Pour les militants, les médias jouent un rôle crucial pour garantir une visibilité réelle et des résultats après une manifestation ou une action. « C’est une question d’espace que ça prend dans l’espace public », explique Myriam Thériault, codirectrice gestion et partenariats du collectif Mères au Front.
Une réaction parlante
Kregg Hetherington, professeur agrégé de sociologie et d’anthropologie à l’Université Concordia, souligne que l’indignation publique met souvent en lumière des enjeux de priorités.
« Entendre des gens dire qu’il est bien plus important pour eux de conduire que de prêter attention au changement climatique, c’est exactement la réaction que l’on cherche à provoquer avec ces manifestations », explique-t-il.
Les activistes utilisent des actions percutantes pour attirer l’attention sur des enjeux urgents, car la couverture médiatique atteint son sommet pendant les actions, les manifestations ou les procédures judiciaires.
« Nous essayions de faire en sorte que les gens à Montréal et au Canada sachent qui nous sommes, Last Generation. Ce n’est pas vraiment important s’il y a beaucoup de réactions négatives », ajoute Sullivan, précisant que l’objectif ultime n’est pas l’approbation universelle, mais de mobiliser le soutient pour un changement à long terme.
Il y a eu un rassemblement devant le palais de justice après les arrestations d’octobre. « Le fait de voir autant de monde ici aujourd’hui montre que beaucoup de personnes soutiennent Olivier et Jacob », a alors confié la manifestante Tamara Ghandour.
Un moteur de croissance
Sullivan explique qu’il est crucial de faire avancer le mouvement et d’intensifier les levées de fonds pour atteindre les objectifs à long terme. « Ce sont vraiment ces moments qui agissent comme un moteur de croissance pour un mouvement social », dit-elle.
Hetherington ajoute que ces perturbations servent aussi de rappels sur les enjeux climatiques en cours.
« Je pense qu’un certain degré de perturbation est nécessaire, simplement parce que notre discours public a tendance à s’enfermer dans des schémas trop confortables, croit-il. Cela rend plus difficile de rester complaisant, et on ne peut pas oublier que ces enjeux environnementaux sont non seulement persistants, mais qu’ils empirent. »
Cependant, compter sur les médias comporte aussi des limites, comme la difficulté de maintenir l’attention après l’événement. Les médias, souvent sélectifs, négligent fréquemment des actions plus modestes et moins dramatiques. Par exemple, Sullivan mentionne qu’une manifestation a eu lieu au terminal pétrolier de Valero, dans l’est de Montréal, mais qu’elle a été peu couverte.
« Quand les actions plus subtiles ne font pas les gros titres, il faut recourir à des tactiques plus dramatiques », estime-t-elle.
Myriam Thériault est d’accord sur le fait que capter l’attention des médias devient un objectif primordial, car, « Si l’on veut que les citoyennes et citoyens sachent quelque chose, si l’on veut qu’ils trouvent ça important, on a besoin des médias. »
Elle souligne le temps consacré à imaginer des actions « créatives, innovantes et dérangeantes » pour attirer l’attention.
En même temps, les militantes aimeraient que les aléas climatiques soient des moteurs d’engagement. « Un milliard de dollars de dommages après trois heures d’inondations cet été, dit Sullivan, en évoquant les dégâts des inondations éclair ou “flash flood” à Toronto, c’est ça, la vraie perturbation dont on devrait parler. »
Nos signets du mois
Unpointcinq lance une plateforme pour les 18-35 ans, garantie sans éco-anxiété,
https://faitque.ca/
. Le Devoir nous en parle ici.
CTV explique qu’on peut améliorer les modèle climatique… avec la recherche sur le 19e siècle!
The Narwhal s’est entretenu avec le ministre fédéral du Développement International Ahmed Hussen sur les rôles passés, présents et à venir du Canada dans la lutte mondiale contre les changements climatiques.
Notre collègue Florent Michelot a publié une lettre ouverte pour dénoncer le silence climatique en politique fédérale au Canada.
The National Observer analyse les leçons à tirer des feux dévastateurs survenus en Californie.
The Toronto Star s’interroge sur les impacts des décisions climatique de l’administration Trump sur le Canada.
Tous ne sont pas égaux devant les risques de poser des actions pour le climat. L’activiste d’origine pakistanaise Zain Haq fait face à l’expulsion. Il avait été arrêté lors de manifestations en 2021 et 2022, explique CBC.
L’infolettre climat et médias au Canada est publiée par l’équipe de recherche de la professeure de journalisme à l’Université Concordia Amélie Daoust-Boisvert. Elle bénéficie du soutien du Centre for Journalism Experimentation (JEX). Vous avez des questions ou des commentaires ? Écrivez-nous à Cmrconcordia@gmail.com
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Cette semaine, l’infolettre a été rédigée par Claudia Beaudoin et Amélie Daoust-Boisvert. Brianna Losinger-Ross assure la coordination. Rédaction en chef et éditrice : Amélie Daoust-Boisvert
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