Apprendre à raconter les histoires du territoire
Le journalisme environnemental peut faire mieux en matière de représentation autochtone
Bonjour à tous et toutes !
Ce mois-ci, je vous propose de lire un reportage d’une collaboratrice, l’étudiante en journalisme Marieke Glorieux-Stryckman, sur la représentation autochtone dans le journalisme environnemental canadien.
On vous reviens avec nos signets des meilleurs reportages des dernières semaines dans une infolettre à venir. On ne veut pas vous noyer d’informations avec une infolettre trop longue!
À bientôt,
Amélie
Apprendre à raconter les histoires du territoire
Le journalisme environnemental peut faire mieux en matière de représentation autochtone
Par Marieke Glorieux-Stryckman
Traduction par Claudia Beaudoin
Les communautés autochtones jouent un rôle clé dans la protection de l’environnement depuis des générations. Pourtant, lorsqu’éclatent des incendies de forêt, que les oléoducs suscitent la controverse ou que la défense des territoires fait les manchettes, leurs voix restent trop souvent en marge.
« C’est toujours difficile quand on regarde les reportages. Même lorsqu’il s’agit d’histoires sur les peuples autochtones, on constate souvent que nous ne sommes pas au centre du récit », constate Kristy Snell, professeure au Départment de journalisme de l’Université Concordia et membre de la Standing Buffalo Dakota Nation en Saskatchewan.
Des étudiants de Kahnawà:ke Survival School enregistrent leurs reportages dans le studio de balado de l’Université Concordia. Crédit photo : Robin Della Corte
Bien que les communautés autochtones soient parmi les plus durement touchées par le changement climatique, leurs voix demeurent largement absentes de la couverture médiatique traditionnelle. Les discussions dans les médias autochtones, comme le Navajo Times, contrastent fortement avec celles des grands médias traditionnels, tels que The New York Times. Cette différence de perspective sur le changement climatique et les peuples autochtones a été mise en lumière dans une étude récemment publiée par McCrackin et ses collègues de l’Université de l’État de l’Utah.
Certains médias prennent des mesures.
Parmi ceux qui font les choses autrement figure The Narwhal, un magazine en ligne canadien axé sur les enjeux environnementaux. Une partie de leur mission consiste à reconnaître que « le journalisme environnemental doit être fondé sur le respect des savoirs autochtones et des droits des Autochtones, et doit mettre en avant leurs voix », selon leur site web.
« Beaucoup des sujets que nous couvrons sont liés aux droits des Autochtones », explique Mike De Souza, directeur des projets et des enquêtes de The Narwhal et ancien rédacteur en chef. « Il est très difficile de raconter ces histoires si nous ne parlons pas aux peuples autochtones, aux Premières Nations, aux Inuits, aux Métis, ceux qui sont directement touchés. »
Les médias gagneraient à comprendre le changement climatique sous un angle autochtone, comme l’explique un chapitre récent d’un livre rédigé par Candis Callison, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le journalisme, les médias et le discours public autochtone.
« Les changements climatiques ne devraient pas être considérés comme une première ou une nouvelle crise mondiale, mais comme la continuation d’une crise qui a commencé avec le colonialisme, l’expansion impérialiste et le commerce mondial à la fin du 15e siècle », écrit-elle.
Les peuples autochtones apportent également « des savoirs et des approches uniques pour entretenir de bonnes relations avec les mondes humains et non humains », ajoute-t-elle.
Qui prend la parole ?
Se rendre dans les communautés touchées par le changement climatique est nécessaire, mais Snell souligne qu’il existe de nombreuses autres voix autochtones qui pourraient être intégrées aux reportages sur les enjeux environnementaux.
« Il y a des scientifiques autochtones, des professionnels autochtones, des personnes que nous pourrions consulter dans un contexte académique, et qui pourraient également partager leur expertise sur ce sujet », explique-t-elle. « Il existe une multitude d’experts autochtones dans ce domaine. »
L’inclusion d’une diversité de voix est essentielle dans le travail de The Narwhal. Mike De Souza explique qu’ils tiennent une réunion mensuelle pour évaluer leurs reportages et trouver des moyens de les améliorer.
Au sein des communautés autochtones, il existe aussi une grande variété de voix, de points de vue et d’opinions. Ce sont souvent les figures politiques, comme les chefs, les ex-chefs ou d’autres dirigeants, qui sont les plus accessibles pour les journalistes. Kristy Snell ajoute que, dans certains cas, il peut ne pas y avoir de consensus sur qui représente véritablement la communauté.
Comment écrivons-nous sur les peuples autochtones ?
Au-delà de l’inclusion des voix autochtones dans les reportages environnementaux, les journalistes doivent également réfléchir à la manière dont ils présentent leurs interlocuteurs. Par exemple, dit la professeure Snell, des mots comme manifestants ou gardiens du territoire ont différentes connotations.
Elle mentionne aussi que les groupes autochtones sont souvent dépeints comme de simples protestataires, en soulignant que cette représentation leur retire leur pouvoir d’agir et minimise les solutions et perspectives précieuses qu’ils apportent.
« Ce n’est pas simplement un groupe en colère, enragé par ce qui se passe et impuissant », rappelle-t-elle. « Il y a tellement plus que cela, et tellement d’énergie investie dans les solutions. »
Mike De Souza met en lumière l’importance d’être conscient des stéréotypes dans les reportages et de garantir une couverture exhaustive des communautés autochtones, en montrant non seulement ce contre quoi elles luttent, mais aussi ce pour quoi elles se battent.
The Narwhal dispose d’une section « Solutions » sur son site web, qui présente des reportages sur un effort récent pour lutter contre la pollution et le racisme environnemental à la Première Nation Aamjiwnaang, ainsi que sur de nouvelles initiatives de conservation menées par des Autochtones.
Kristy Snell est optimiste quant à la possibilité de changer la manière dont le journalisme traite les histoires autochtones. Selon elle, l’évolution commence par l’inclusion de plus de journalistes et de dirigeants autochtones dans les salles de rédaction. Une des façons dont elle espère faire une différence est à travers le Kaié:ri Nikawerá:ke Indigenous Bridging Program à l’Université Concordia, qui s’étendra pour inclure le programme de journalisme dès septembre.
« Je pense que plus nous avons ces discussions, plus nous y réfléchissons, plus nous analysons et réfléchissons de manière critique à la façon dont les médias racontent les histoires autochtones », explique-t-elle. « Cela prend du temps, mais cela fait longtemps que je fais ce travail. Les choses s’améliorent, c’est certain. Il est donc important de continuer cette conversation et de toujours avancer vers le changement. »
Papier carbone suggère…
Un guide que chaque journaliste devrait lire, Decolonizing Journalism de Duncan McCue, publié en 2023, est à la fois révélateur et très pratique.
Tout le travail de la professeure Candis Callison, titulaire de la chaire d’études sur les Premières Nations et les peuples autochtones à l’Université de la Colombie-Britannique, mérite d’être consulté. Nous vous conseillons vivement son livre, coécrit avec Mary Lynn Young, Reckoning : Journalism’s Limits and Possibilities, publié en 2020. Elle est Tahltan (peuple autochtone originaire de ce qui est maintenant le nord-ouest de la Colombie-Britannique), ancienne journaliste et titulaire d’une chaire de recherche du Canada.
Creating welcoming spaces: Indigenous journalism students’ perspectives on programming and representation, une étude de la professeure Kristy Snell tirée de sa méthode d’enseignement unique, a été publiée l’automne dernier dans Faits et Frictions.
En toute transparence : Kristy Snell est notre collègue au Département de journalisme, et Amélie siège au comité éditorial de Faits et Frictions.